jeudi 13 mai 2010

Merci à Patricia Mowbray

Je suis née deux fois. Une première fois au mois d'août 1956 en Angleterre d'une femme danoise et d'un homme nigérian, et une seconde fois en février 1959 pour rejoindre ma famille adoptive au pied de la butte Montmartre. Pour moi l'adoption est une seconde naissance, un choc salutaire qui peut se transformer en atout pour mieux interpréter et apprécier la diversité du monde qui nous entoure.

Le drame à Haïti le 12 janvier, avec son cortège d'enfants meurtris, orphelins et abîmés, a ravivé les polémiques récurrentes qui tournent autour de cette prise en charge particulière qu'est l'adoption internationale.
Elle permet à près de 40 000 enfants de passer, chaque année, les frontières de leur terre natale, pour exercer leur droit à vivre dans l'intimité d'une famille.
Mais au-delà de cette spécificité haïtienne, c'est la question plus générale de l'adoption internationale avec ses détracteurs et ses défenseurs qui est posée : sa légitimité, son fonctionnement et son impact tant dans les pays de provenance que dans les pays d'accueil.

Comme l'énoncent plusieurs conventions internationales, l'adoption est une mesure de protection de l'enfant, qui a le droit de grandir avec sa famille. Si les circonstances l'en ont privé, il doit pouvoir bénéficier dans son pays de naissance ou "dans un pays étranger, d'une adoption comme moyen d'assurer ses soins nécessaires, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé", article 21 de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1 989 (CIDE).

Avant le séisme dévastateur sur les 300 000 enfants haïtiens accueillis dans des structures diverses d'aide à l'enfance, en 2009, 1 300 sont partis à l'étranger, principalement en France, au Canada et aux Etats-Unis pour y être adoptés, pour y vivre et devenir des filles ou des fils de parents qui les inscrivent ainsi dans une nouvelle histoire familiale et nationale. Qu'advient-il de tous les autres ? Sont-ils condamnés au statut d'orphelins à vie, dans une errance affective et morale ? Dans des camps, avec le seul soutien d'un personnel souvent très dévoué mais qui aura rarement la possibilité de les porter vers un avenir serein. On sait que, bien avant l'adolescence, nombre d'entre eux iront rejoindre la cohorte des enfants des rues.

A ceux qui recommandent de ne pas agir dans la précipitation mais dans le souci du respect des lois, je répondrai que les règles qui régissent l'adoption internationale sont laborieuses et contraignantes. A Haïti, par exemple, quinze étapes de procédure doivent être franchies pour enfin obtenir le visa d'adoption à l'ambassade de France, qui autorise l'enfant à rejoindre légalement son nouveau pays. Les délais pour ce sésame varient de quelques mois à plusieurs années. Compte tenu de ces parcours, on peut estimer que le temps de la réflexion est offert aux parents et aux institutions pour juger de la pertinence et de la validité de la démarche engagée.
L'enfant pendant ce temps se trouve dans un no man's land affectif, vivant son quotidien dans l'orphelinat, et, déjà engagé ailleurs, apprenant à désigner avec des mots nouveaux ou oubliés, comme "papa" ou "maman", des visages imprimés sur papier glacé. On sait que plus l'enfant grandit plus il aura de difficultés à guérir des séquelles de ces traumatismes. Il est donc vital d'accorder le temps de la justice à celui de l'enfant en accélérant les procédures sans les dénaturer, après que les apparentements ont été décidés.

Ce phénomène a toujours généré des débats passionnés. Il est vrai qu'il interpelle les sociétés par la mixité qu'il entraîne, il s'inscrit aussi comme une des conséquences de l'internationalisation des échanges. Le droit de l'enfant à avoir une famille est reconnu au-delà des frontières qui l'ont vu naître, en conformité avec l'intérêt supérieur de l'enfant - ouvrant ainsi depuis 1989 un espace juridique transfrontalier spécifique au monde de l'enfance qui reconnaît l'universalité de son statut.

Pour certains, le tribut de cet exil nécessaire pour trouver une famille serait trop lourd, trop invalidant, puisqu'il amputerait les enfants d'une partie de leur identité et favoriserait, de surcroît, un comportement égoïste et prédateur des Occidentaux, qui continueraient par ce biais à exploiter la misère du monde.
La stratégie familiale, qui consiste à laisser partir un ou plusieurs enfants dans l'espoir d'une vie meilleure, est un phénomène qui a toujours existé même sous nos latitudes. La littérature des XIXe et XXe siècles, Dickens en Angleterre, Maupassant en France, foisonne de récits mettant en scène des parents qui confient ou abandonnent leurs enfants.
Pour l'immense majorité des enfants recueillis, la seule chance de grandir dans un espace qui prenne le temps de les aimer et qui les inscrive à nouveau dans une appartenance affective et morale est l'adoption, qu'elle soit locale ou internationale, conjuguant le désir de parents de fonder ou agrandir une famille et le droit de l'enfant à en posséder une. Aucun camp, personne du monde socio-éducatif, ne remplacera le lien privilégié qu'entretiennent des parents avec leur enfant.

Sous prétexte de quelques dérives répréhensibles, très médiatisées, ne cachons pas la réalité de ces millions d'enfants qui attendent et grandissent nourris et parqués sur leur terre natale, dans des lieux sans âme et sans espoir. En Roumanie, de jeunes adultes se retournent maintenant contre les autorités de leurs pays, les accusant de les avoir privés de leur enfance en les gardant en otages depuis 2001 dans des institutions, en les empêchant d'être adoptés par des familles étrangères.
A l'époque, le pays s'était fermé à l'adoption internationale pour mettre fin à la corruption qui sévissait aussi dans ce secteur. L'adoption n'est pas une prédation, elle est la juste réponse à la pire des solitudes, celle pour un enfant de grandir sans personne à qui se lier.

Patricia Mowbray est fondatrice de l'association Racines d'enfance, auteur d'"A comme Adoption" (éd. Pascal, 2009).

10 commentaires:

Chantalou a dit…

Très bon texte qui représente bien ce qu'est la réalité de l'adoption c'est à dire trouver un foyer aimant à des enfants sans famille!!La France devrait comprendre que de laisser vos timouns là-bas est un risque beaucoup plus grand que de leur trouver un foyer où ils pourraient s'épanouïr et être heureux. Chantalou qui pense à vous, xx

FÉE CLOCHETTE a dit…

Je pense bien à vous, Marie et Philippe. Je ne peux pas croire que votre Monise soit toujours là-bas et vous ici...Bonne chance!
Guylaine xx

Burkina guié a dit…

Je suis vraiment d'accord avec ce texte. Il faut protéger nos enfants et arrêter de mettre un frein à cet acte qu'est l'adoption.

Les détracteurs de l'adoption, critiquent, jugent, mais n'apportent aucune solution. S'ils en apportent une, cette dernière est, le plus souvent, de l'ordre de impossible ou de l'utopie....Facile, non ??

Quand je vois le stress que vous vivez, je me dis qu'il y a des choses anormales dans la vie. Et parfois j'arrive à me demander si nos gouvernements souhaitent protéger ces enfants.

Je vous souhaite encore et encore du courage.

Julia (une maman qui a attendu 10 mois après l'attribution de son fils. Dix mois sans photo avec de temps en temps, des nouvelles très vagues et générale telles que seulement : "les enfants vont bien" rien de plus. A la fin j'ai cru devenir folle, je me demandai même si cet enfant existait. Mais heureusement tout c'est enfin arrangé.)

Alors surtout gardez espoir, je suis certaine que votre Monise sera bientôt dans vos bras.

Bisous

Monise, Marie, Philippe a dit…

Bonjour Julia

Votre petit garçon était dans quelle crèche ?

Merci à toutes pour vos messages de soutien.

Marie et Philippe

Burkina guié a dit…

Bonjour Marie et Philippe,

Mon petit loup vient du Burkina Faso et il était dans un orphelinat de brousse donc à l'époque nous n'avions aucun moyen de les avoir en direct.

Il fallait passer par un intermédiaire (ce qui est très frustrant car à mon éternelle question comment va notre fils, pendant 10 mois j'ai eu la même réponse : "les enfants vont bien" (rien de plus). Les derniers mois de notre attente je redoutais cette réponse, je voulais simplement savoir si lui était bien, si il grandissait, si il marchait.... Ce n'est pas que les autres enfants n'avaient pas d'importance mais sur le moment j'avais besoin d'avoir des nouvelles de lui en particulier.

De plus, autour de nous les autres parents adoptifs partaient alors qu'ils avaient eu les attributions après nous. A la fin j'en ai versé des larmes "de sang"!! Jusqu'au moment où j'ai téléphoné à notre asso, j'ai dis ce que j'avais sur le coeur et là ils nous ont expliqué ce qui ce passait : Perte de papier, donc retard....Quelque part même si note inquiétude à grandit je savais maintenant que notre fils existait et que les procédures étaient en cours.

Chaque jour, chaque semaine, chaque mois passés sans lui étaient une épreuve. Je comprend donc votre situation.

Ce que les gens ont du mal à comprendre c'est qu'à partir du moment où l'attribution est faite, dans notre esprit et notre coeur ces enfants sont les notre.

Nous avons vécu deux adoptions différentes : Pour notre loup, l'attribution fut rapide mais nous avons attendu 10 mois pour le chercher. Pour notre louloute ce fut différent, l'attribution fut longue mais en 3 mois nous étions partis la chercher. Et honnêtement je préfère la deuxième fois car bc moins stressant.
Voilà donc notre histoire d'adoption en quelques mots.

Chaque jour je pense à vous 3, et je vous souhaite un dénouement rapide, pour votre petite poupée comme pour vous.
Julia

Monise, Marie, Philippe a dit…

Merci Julia

Nous les rares fois où nous sommes arrivés à joindre la crèche c'est la même réponse "les enfants vont bien", les trois quarts du temps personnes ne réponds et depuis le séisme c'est le calme plas quant au téléphone.

Du courage il en faut mais le désespoir prend le dessus, c'est très difficile, on nous avait promis pour noël, en octobre lorss de notre signature devant le juge on nous a dit pour le printemps et maintenant RIEN.

Marie

Burkina guié a dit…

Je comprend votre désespoir, c'est humain et cela est la preuve que votre adoption à sa légitimité. Si vous n'étiez pas désespérés ce ne serait pas normal. On parle de Nos Enfants, quand même. Et les gents qui donnent des leçons de patience n'ont sûrement pas vécu ce que vous vivez...

Mais le pire dans l'histoire est le manque de communication, on ne demande pas qu'ils fassent n'importe quoi mais qu'ils communiquent avec les parents en attente. Quant on sait avec précision ce qui se passe on vit l'attente plus sereinement.

De plus, dire "Les enfants vont bien" ça veut tout dire et rien dire à la fois.

En ce qui concerne les échéances données, quelle erreur !!! (même si nous, les parents adoptants, nous le demandons expressément)car tout peu arriver et retarder la procédure, malheureusement le séisme en est la preuve. Dans l'adoption il n'y a pas de certitude de temps, pour certains c'est très rapide et pour d'autres très long et stressant.

Que vous dire à part, battez vous, lâchez vous et n'ayez pas peur de pleurer, de crier, de vous énervez : c'est humain. Pensez à vous et préservez vous....
Bisous

Virginie et ses trésors a dit…

Marie, je suis très admirative de votre courage, à vous 2 parents de Monise et à tous les autres parents d'enfants en Haïti... je ne peux même pas essayer d'imaginer un 10ème de l'enfer que vous vivez.
Adopter à partir de la France, c'est vraiment un chemin de croix, dès le départ et pour certains il est encore plus dur et long que pour d'autres.
Je suis vraiment indignée par l'attitude des pouvoirs publics français relayée par des médias que je trouve en dessous de tout, dans le domaine de l'adoption en Haïti. C'est révoltant !
Courage, continuez de vous battre, et continuez d'y croire. Votre petite Monise le mérite et je veux croire qu'un jour proche vous serez réunis tous les 3 pour la vie !
Si tu veux une invitation pour mon blog, il suffit de m'envoyer une adresse email pour que je puisse t'envoyer une invitation.
Amicalement
Virginie, maman d'Anaïs
PS : Parfaitement d'accord avec Patricia Mowbray,

Gianlu a dit…

Bonjour, l’émission C’est ma vie, présentée par Karine Lemarchand et diffusée sur M6, prépare actuellement un documentaire consacré à l’adoption. Le souhait du reportage est de raconter cette histoire d’amour et de patience. D'accompagner le témoin dans le processus d'adoption, un parcours difficile, de combattant, avec les difficultés mais aussi la grande joie de la rencontre avec un enfant tant désiré.

- vous êtes sur le point d’accueillir un enfant

VOTRE TEMOIGNAGE M’INTERESSE !

GIANLUCA au 01.44.75.11.08 ou par mail : castingmata@gmail.com

Gianlu a dit…

L’émission C’est ma vie, présentée par Karine Lemarchand et diffusée sur M6, prépare actuellement un documentaire consacré à l’adoption. Le souhait du reportage est de raconter cette histoire d’amour et de patience. D'accompagner le témoin dans le processus d'adoption, un parcours difficile, de combattant, avec les difficultés mais aussi la grande joie de la rencontre avec un enfant tant désiré.

- vous êtes sur le point d’accueillir un enfant

VOTRE TEMOIGNAGE M’INTERESSE !

GIANLUCA au 01.44.75.11.08 ou par mail : castingmata@gmail.com